French

Reflets dans l’eau (Mirages #2)

Etendue au seuil du bassin,   
Dans l'eau plus froide que le sein   
Des vierges sages,   
J'ai reflété mon vague ennui,  
Mes yeux profonds couleur de nuit  
Et mon visage.   
 
Et dans ce miroir incertain   
J'ai vu de merveilleux matins...  
J'ai vu des choses   
Pâles comme des souvenirs,   
Dans l'eau que ne saurait ternir  
Nul vent morose.   
 
Alors - au fond du Passé bleu –  
Mon corps mince n'était qu'un peu  
D'ombre mouvante ;  
Sous les lauriers et les cyprès   
J'aime la brise au souffle frais   
Qui nous évente...  
 
J'aimais vos caresses de soeur,   
Vos nuances, votre douceur,  
Aube opportune ;  
Et votre pas souple et rythmé,   
Nymphes au rire parfumé,   
Au teint de lune ;   
 
Et le galop des aegypans,   
Et la fontaine qui s'épand   
En larmes fades...  
Par les bois secrets et divins   
J'écoutais frissonner sans fin  
L'hamadryade,   
 
Ô cher Passé mystérieux  
Qui vous reflétez dans mes yeux  
Comme un nuage,   
Il me serait plaisant et doux,  
Passé, d'essayer avec vous  
Le long voyage! ...   
 
Si je glisse, les eaux feront  
Un rond fluide... un autre rond...   
Un autre à peine...   
Et puis le miroir enchanté  
Reprendra sa limpidité  
Froide et sereine.   
 
–– Mme la Baronne Renée de Brimont (1886-1968)

Vaisseaux, nous vous aurons  (L’horizon Cimérique #4)

 
Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte;   
Le dernier de vous tous est parti sur la mer.   
Le couchant emporta tant de voiles ouvertes  
Que ce port et mon coeur sont à jamais déserts.  
 
La mer vous a rendus à votre destinée,  
Nous ne pouvions garder vos âmes enchaînées;   
Il vous faut des lointains que je ne connais pas.   
 
 
Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.  
Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,   
Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,   
Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.   
 
–– Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914)

Paradis (La chanson D’Ève #1)

  C'est le premier matin du monde,  
Comme une fleur confuse exhalée de la nuit,   
Au souffle nouveau qui se lève des ondes,  
Un jardin bleu s'épanouit.   
 
Tout s'y confond encore et tout s'y mêle,   
Frissons de feuilles, chants d'oiseaux,   
Glissements d'ailes,   
Sources qui sourdent, voix des airs, voix des eaux,   
Murmure immense,   
Et qui pourtant est du silence.   
 
Ouvrant à la clarté ses doux et vagues yeux,   
La jeune et divine Eve   
S'est évillée de Dieu,  
Et le monde à ses pieds s'étends comme un beau rêve.   
 
Or, Dieu lui dit: "Va, fille humaine,   
Et donne à tous les êtres  
Que j'ai créés, une parole de tes lèvres,   
Un son pour les connaître".   
 
Et Eve s'en alla, docile à son seigneur,  
En son bosquet de roses,  
Donnant à toutes choses  
Une parole, un son de ses lèvres de fleur:   
 
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose que vole...  
 
Cependant le jour passe, et vague, comme à l'aube,   
Au crépuscule, peu à peu,  
L'Eden s'endort et se dérobe  
Dans le silence d'un songe bleu.  
 
La voix s'est tue, mais tout l'écoute encore,  
Tout demure en l'attente,   
Lorsqu'avec le lever de l'étoile du soir,   
Eve chante.  
 
— Charles van Lerberghe (1861-1907)
English

Reflections on the Water

Leaning at the edge of a pool,
Where the water was colder than the breast
of the wise virgins,
I reflected upon my vague boredom,
The depths of my eyes, the colour of night
And my face.
 
And in this uncertain mirror
I saw wonderful mornings...  
I saw things
pale like recollections.
in water that knew not how to clear
without morose wind.
 
Then at the foot of the blue reflection
my slim body was only  
a small moving shadow;
under the laurels and cypresses
I like the feel of a fresh breeze
that fans us...
 
I loved your sisterly caresses,
your subtlety, your gentleness,
timely dawn rising;
and your supple and rythmic steps,
nymphs with perfumed laughter,
and complexions like the moon;
 
And the galop of camels,
the fountain that sprawls
in tasteless tears...
By secret and sacred woods
I heard with a ceaseless shiver
the cobra.
 
Oh dear mysterious reflection
how you gleam in my eyes  
like a cloud,
it made me aimiable and mild,  
reflection, to set out with you
on the long voyage...
 
If I skip stones, the water becomes
a round disc...  another...
and perhaps another...
And then the enchanted mirror
recovers its limpidity
cool and serene.
 
— Translation by Douglas Watt-Carter

Ships, we have loved you

 
Ships, we have loved you to no avail;
The last of you has set sail upon the sea.
The setting sun has borne away so many open sails
That this port and my heart are forever forsaken.
   
The sea has restored you to your destiny
Beyond the shore where our steps must cease.
We could not have held your souls captive;
You have need of distances unknown to me.
 
I belong to those whose desires are earthbound.
The breeze that elates you fills me with terror;
But your call, at evening, makes me despair,
For I have an unappeased longing for great departures.
 
–– Translation by Faith J. Cormier

Paradise

It is the world's first morning.
Like a misty flower exhaled by the night
on the new breath rising from the waters
  a blue garden opens out.
 
Everything is still mingled and mixed:   
  leaves rustling, birds singing,   
wings fluttering,
gushing streams, voices of air, voices of water –
an immense murmuring,
  yet all composed of silence.
 
Opening her soft vague eyes to the light,   
the divine young Eve
has awoken out of God,
and the world spreads at her feet like a beautiful dream.
 
  And God said to her: "Go, human child,  
and give to all the beings I've created
a word from your lips,   
a sound to know them by."
 
And Eve, obedient to her lord,   
went out into her thicket of roses,  
and gave to all things
a word, a sound from her flowerlike lips:
 
scurrying things, breathing things, flying things...
 
Meanwhile the day passes, and the Garden,  
hazy at dusk as at dawn,
falls asleep and slips away
into the silence of a blue dream.
 
The voice has stopped, but everything listens for it,  
everything remains expectant,
until at the rising of the stars of the evening
Eve sings.
 
–– Translation by Peter Low