- French
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Histoires Naturelles
La Paon
Il va sûrement se marier aujourd’hui.
Ce devait être pour hier. En habit
de gala, il était prêt. Il n’attendait que sa
fiancée. Elle n’est pas venue. Elle ne
peut tarder.
Glorieux, il se promène avec une allure
de prince indien et porte sur lui les
riches présents d’usage. L’amour avive
l’éclat de ses couleurs et son aigrette
tremble comme une lyre.
La fiancée n’arrive pas.
Il monte au haut du toit et regarde du
côté du soleil. Il jette son cri diabolique:
Léon! Léon!
C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée.
Il ne voit rien venir, et personne ne répond.
Les volailles habituées ne lèvent même point
la tête. Elles sont lasses de l’admirer.
Il redescend dans la cour, si sur d’être
beau qu’il est incapable de rancune.
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire du reste de la
journée, il se dirige vers le perron. Il
gravit les marches, comme des marches de
temple, d’un pas officiel.
Il relève sa robe à queue toute lourde
des yeux qui n’ont pu se détacher d’elle.
Il répète encore une fois la cérémonie.
Le Grillon
C’est l’heure où, las d’errer,
l’insecte nègre revient de promenade
et répare avec soin le désordre
de son domaine.
D’abord il ratisse ses étroites
allées de sable.
Il fait du bran de scie qu’il
écarte au seuil de sa retraite.
Il lime la racine de cette grande
herbe propre à le harceler.
Il se repose.
Puis il remonte sa minuscule montre.
A-t-il fini? Est-elle cassée? Il se
repose encore un peu.
Il rentre chez lui et ferme sa porte.
Longtemps il tourne sa clef dans la
serrure délicate.
Et il écoute:
Point d’alarme dehors.
Mais il ne se trouve pas en sûreté.
Et, comme par une chaînette dont la
poulie grince, il descend jusqu’au fond
de la terre.
On n’entend plus rien.
Dans la campagne muette, les peupliers
se dressent comme des doigts en l’air et
désignent la lune.
Le Cygne
Il glisse sur le bassin, comme un
traîneau blanc, de nuage en nuage. Car
il n'a faim que des nuages floconneux
qu'il voit naître, bouger et se perdre
dans l'eau. C'est l'un d'eux qu'il désire.
Il le vise du bec, et il plonge tout à
coup son col vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d'une
manche, il le retire.
Il n'a rien.
Il regarde: les nuages effarouchés
ont disparu.
Il ne reste qu'un instant désabusé,
car les nuages tardent peu à revenir,
et, là-bas, où meurent les ondulations
de l'eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de
plumes, le cygne rame et s'approche...
Il s'épuise à pêcher de vains reflets,
et peut-être qu'il mourra, victime de
cette illusion, avant d'attraper un seul
morceau de nuage.
Mais qu'est-ce que je dis?
Chaque fois qu'il plonge, il fouille
du bec la vase nourrissante et ramène
un ver.
Il engraisse comme une oie
Le Martin-pêcheur
Ça n’a pas mordu, ce soir,
mais je rapporte une rare
émotion.
Comme je tenais ma perche de
ligne tendue, un martin-pêcheur
est venu s’y poser.
Nous n’avons pas d’oiseau
plus éclatant.
Il semblait une grosse fleur
bleue au bout d’une longue tige.
La perche pliait sous le poids.
Je ne respirais plus, tout fier
d’être pris pour un arbre par
un martin-pêcheur.
Et je suis sûr qu’il ne s’est
pas envolé de peur, mais qu’il a
cru qu’il ne faisait que passer
d’une branche à une autre.
La Pintade
C’est la bossue de ma cour.
Elle ne rêve que plaies à cause
de sa bosse.
Les poules ne lui disent rien: brusque-
ment, elle se précipite et les harcèle.
Puis elle baisse sa tête, penche le corps,
et, de toute la vitesse de ses pattes
maigres, elle court frapper de son bec dur,
juste au centre de la roue d’une dinde.
Cette poseuse l’agaçait.
Ainsi, la tête bleuie, ses barbillons à
vif, cocardière, elle rage du matin au soir.
Elle se bat sans motif, peut-être parce
qu’elle s’imagine toujours qu’on se moque
de sa taille, de son crâne chauve et de sa
queue basse.
Et elle ne cesse de jeter un cri discordant
qui perce l’air comme une pointe.
Parfois elle quitte la cour et disparaît.
Elle laisse aux volailles pacifiques un
moment de répit. Mais elle revient plus
turbulente et plus criarde. Et, frénétique,
elle se vautre par terre.
Qu’a-t-elle donc?
La sournoise fait une farce.
Elle est allée pondre son oeuf à la
campagne.
Je peux le chercher si ça m’amuse.
Elle se roule dans la poussiére, comme
une bossue.
— Jules Renard
- English
-
Natural Histories
The Peacock
He must be getting married today.
It was supposed to be yesterday. Wearing
his best, he was ready. All he was waiting
for was his fiancée. She didn’t come. She
can’t be long now.
Superb, he strolls about as indolently
as any Hindu prince, and bears upon himself
the rich ceremonial presents. Love enlivens
the luster of his colors, and his crest
trembles like a lyre.
The fiancée does not come.
He climbs to the roof and looks toward
the sun. He utters his diabolic cry:
Leon! Leon!
That is what he calls his fiancée. He sees
nothing coming, and no one answers. The hens,
accustomed, do not even raise their heads.
They are tired of admiring him. He comes back
down into the barnyard, so sure of being
beautiful that he is incapable of rancor.
The marriage will take place tomorrow.
And undecided about what to do with the rest
of the day, he heads for the terrace in front
of the house. He climbs the steps as though
they were temple steps, with an official gait.
He raises his train that is so heavy with
the eyes which could not tear themselves away.
And once more he repeats the ceremony.
The Cricket
This is the hour when, tired of
wandering, the black insect returns
from his promenade and carefully
repairs the disorder of his domain.
First of all, he rakes his narrow
sandy walks.
He makes some sawdust, which he then
on the doorstep of his retreat.
He files down the root of that big
weed likely to bother him later on.
He rests.
Then he rewinds his tiny watch.
Is he through? Is it broken? He
rests some more.
He goes inside and shuts his door.
For a long time, he turns his key in
the delicate lock.
he listens:
Nothing outside is moving.
he doesn’t feel safe.
And as though by a fine cable whose
pulley creaks, he descends into the
bowels of the earth.
There is not another sound.
In the silent fields, the poplars
into the air like fingers, pointing
at the moon.
The Swan
He slides across the pond like a white
sled, from cloud to cloud. You see, that's
all he likes to eat: the cottony clouds he
watches appearing, moving, and vanishing
in the water. It's one of them he wants.
He aims at it with his beak, and abruptly
plunges his snowy neck into it.
Then, the way a woman's arm comes out
of a sleeve, he withdraws it.
has nothing.
He stares: the startled clouds have
vanished.
His disappointment lasts only a moment,
for the clouds don't take long to come
back, and over there, where the ripples
are dying out, one is forming again.
Gently, on his light cushion of feathers,
the swan rows over to it…
He wears himself out fishing for vain,
and perhaps he will starve,
a victim of this illusion, before he
catches a single piece of cloud.
But what am I saying?
Each time he dives, he pokes his beak
into the nourishing mud and brings up a
worm.
He's getting fat as a goose.
The Kingfisher
They weren’t biting this
evening, but I came home with
a rare emotion.
While I was sitting there,
holding out my line, a king-
fisher came and perched on the rod.
We have no bird
more brilliant.
He looked like a big blue
flower on the end of a long stem.
The rod bent under his weight.
I held my breath, proud of
being taken for a tree by a
kingfisher.
And I’m sure he didn’t fly away
because he was frightened, but
because he thought he was merely
passing from one branch to another.
The Guinea Hen
She is the hunchback of my barnyard.
The only thing she can think of is quar-
relling - because of her hump.
The hens have nothing to do with her, and
all of a sudden she goes for them like a fury.
Then she lowers her head, leans forward,
and as fast as her skinny feet can carry her,
she dashes over and pecks hard at the very
center of a turkey-cock’s fantail.
If there’s one thing she can’t stand it’s affectation.
That’s how it is: from morning to night
she fumes on, head blue, wattles stiff with
rage. She picks fights for no reason, maybe
because she imagines they’re making fun of
her size, her bald head and her
runty tail.
And she keeps making her harsh little cry
that stabs the air like another beak.
Sometimes she leaves the barnyard and
disappears, affording the peaceful fowl there
a moment’s relief. But she returns more tur-
bulent and noisier than ever. In a frenzy
she sprawls on the ground.
What’s the matter with her now?
The sneak is up to something.
She’s gone off to lay her egg in the
field somewhere.
I can go hunt for it if I want to.
She rolls around in the dust, like a
hunchback.